Il est toujours difficile de commencer à écrire "ailleurs". On ne sait jamais par quel bout prendre la lorgnette, on se sent intimidé comme un débutant. Les doigts se chevauchent sur le clavier, se bousculent et on doit reprendre quinze fois la même phrase pour qu'elle ait un sens.

Pourtant, il est grisant de se projeter comme ça dans un espace différent, sans publicités intempestives qui viennent vous rappeler au plus mauvais moment les coordonnées d'un marabout, les propriétés incroyables d'un tout nouveau régime ou la dernière méthode imparable pour arrêter de fumer. On respire, on découvre peu à peu l'environnement, on s'amuse à tester l'ergonomie de l'hébergeur, on se dit qu'il va y avoir des tas de petites choses amusantes à essayer.

J'ai comme l'impression que je vais me sentir bien ici, le temps de déposer mes valises et de faire le tour du propriétaire. Sans hâte, surtout. Ce mot ne me convient pas. Il se précipite au devant des problèmes, les provoquant même, sans souci des conséquences. Prendre mon temps, voilà ce que je vais faire...

Avant...

Avant, nous pouvions rire aux éclats. Nous pouvions faire A A A avec la bouche et projeter des morceaux de bonheur à qui voulait bien les attraper. Cela sonnait bien. Nous avions le verbe haut en couleurs, la truculence de bons mots prêts à surgir en gerbes folles et le panache d'un humour échevelé qui décoiffait velu.

Tout cela, c'était avant. Avant que des agences de notation  nous assènent que désormais, nous devrions éructer nos joies sous la forme de A A +. A quoi cela ressemble-t-il, d'excréter du A A +? A rien. Il manque un A et tout le reste est à la peine. La pompe à sourire geint sous l'effort et ne réussit à sortir qu'une faible bouffée d'espoir qui aussitôt se dissout dans les méandres d'un ru aux larmes amères. Quant au +, il reste le seul signe que tout n'est peut-être pas perdu. 

L'avenir nous fera peut-être rire en + + +, quand plus rien n'aura d'importance, même plus les mots. Quand nous resterons barricadés dans nos incertitudes et nos doutes. Quand nous aurons oublié ce qu'espoir veut dire et que les grands se garderont de nous le rappeler. Certains se souviendront alors que du temps de leur jeunesse, ils pouvaient balancer du A A A quand leur coeur débordait d'optimisme. Et peut-être que leurs enfants auront le goût de s'y essayer aussi...

Ceci est une page blanche.

Enfin, ça l'était, jusqu'à ce que je me décide à lui jeter quelques mots en pâture. Et c'est qu'elle est vorace, la coquine! Pour un peu, elle me happerait les doigts si je n'y prenais garde... C'est sûr, elle aura besoin d'être domptée et dressée. Non mais! Pas question qu'elle se croit le chef ici-bas. Elle apprendra à être grisée peu à peu, se remplissant d'idées et de mots au gré de l'inspiration. Elle ordonnera tout ce fatras pour en tirer du sens et de l'émoi. Elle attendra patiemment mon bon vouloir sans regimber si mon absence perdure. Elle offrira aux regards de passage quelques instants de lecture sages -ou pas. Elle saura peu à peu s'effacer tout en ne disparaissant jamais.

Ceci était une page blanche...